Réussir sa vie.

Tu veux faire quoi plus tard ?

Comment ça, tu ne sais pas ? Pourquoi tu ne deviens pas juge, médecin ou avocate ? Fais plaisir à tes grands-parents, ne leur raconte pas de sottises. Si tu veux une bonne place dans la société, ais un diplôme. Des enfants. Un mari. Une maison. Un chien. Une grosse voiture. Une vie normale. Regarde ton cousin, en école de commerce, ta sœur, en école d’ingénieurs. Deviens adulte, sois responsable. Réussis ta vie.

Tu veux faire quoi plus tard ?

Demande moi plutôt ce que je veux faire aujourd’hui. Je te répondrai une balade au parc, on marchera des heures en regardant le fleuve, le vent dans les cheveux, on escaladera les rochers, pour faire un concours de ricochets. On s’assoira par terre pour manger des sandwichs au fromage, on refera le monde en buvant du café dans des thermos. Avec un seul regard on inventera l’histoire, avec un seul sourire on créera un souvenir. On écrira des poèmes pour libérer nos pensées, on se les partagera pour se sentir exister. On arrachera l’herbe en regardant les gens courir d’un bout à l’autre de leurs engagements. Ils courent sans arrêt, ne savent pas se stopper, ils courent toujours plus vite : le premier arrivé a gagné. Il a le plus d’argent, la plus grosse voiture, les plus beaux enfants. Et ils sont tous envieux. S’ils s’arrêtaient de courir une minute, ils prendraient garde aux immobiles.

Viens on se cache dans les buissons, pour ne pas rentrer dans la course. Pendant qu’ils courent, nous, on peut rêver. Observe les rouages de cette mécanique sourde, toujours si bien huilée, pour faire tourner la machine de l’ascension sociale. Si tu as depuis longtemps déraillé, viens où le café est chaud et la cachette superbe pour les regarder se hâter. Chaque seconde de calme permet l’étincelle. Elle gronde, annonciatrice d’un renouveau, expansion brutale : elle résonne d’un seul coup. Car celui qui prend son temps n’est pas vain : c’est seulement en prenant du recul que tu vois que le monde est vaste.